Cette année, j’ai passé un bon mois de Ramadan à Rabat. Tout comme l’année dernière, j’appréhendais son commencement, parce qu’il a quelque chose de spécial. Je me souviens qu’il y a un an, j’avais croisé dans l’ascenseur de mon immeuble un monsieur âgé en tenue de fête, djellaba écrue satinée et fez lie de vin, qui m’avait demandé avec un grand sourire : « Alors, c’est bien, le mois de Ramadan ? ». Par politesse, je lui avais répondu que c’était très bien, mais je ne voyais pas très bien où il voulait en venir, car ce qui m’impressionnait alors principalement, c’était la quasi-interdiction qui était pour l’occasion faite à tous de manger en pleine rue en journée.
Cette année, c’était différent. Je savais bien sûr que Ramadan, c’est un mois de réjouissances très attendues, l’occasion de partager en famille un mois entier pour ainsi dire de fêtes de fin d’année, avec tous les excès que cela suppose, culinaires, somptuaires, métaboliques… Une épreuve aussi, puisqu’il faut éprouver la faim qu’éprouvent quotidiennement les plus pauvres, expier par la douleur ses péchés et parce que le rythme de vie est bouleversé et qu’ainsi le sommeil en pâtit sérieusement. La nuit devient plus longue. Les Marocains mangent, au coucher du soleil, le ftour, vers 23h, 23h30 l’ichae (le dîner) et avant la prière du fajr (l’aube) le sohr.
Mais cette année fut différente de l’année dernière, car j’ai jeûné cinq jours (dont deux fois deux jours consécutifs !). Je n’ai rien avalé depuis le matin jusqu’à la rupture du jeûne, vers six heures du soir… Je voulais expérimenter cette pratique religieuse (dans des proportions raisonnables, il est vrai), je voulais accompagner des amis musulmans qui jeûnaient et aussi je voulais bien profiter du ftour auquel un ami me conviait souvent.
Si on passe sur les maux de ventre ou de tête, la fatigue, les écœurements et les gargouillements, ça a en fait un côté assez ludique (je rappelle que je n’ai pas jeûné un mois entier) : résister aux tentations, attendre la rupture du jeûne avec impatience, se dépêcher pour ne pas la manquer ou l’attendre devant les programmes sur mesure de 2M, assister aux préparatifs, savourer timidement et respectueusement, avec la satisfaction du devoir accompli, le jus de fruit qui ouvre parfois le ftour…
Après une journée de jeûne, ce qui m’a frappé, c’est la soif inextinguible dont j’étais saisi : envie de jus, d’eau, de fruits en tout genre… Il est bien plus aisé de jeûner quand le temps est sec et frais que lorsqu’il fait chaud et lourd. On m’a expliqué que si les Marocains consomment tant pendant le mois de Ramadan, c’est que la journée, pressés par la faim, ils ont envie de tout acheter, quitte à acheter un peu trop. Pour moi, ça a été un peu différent. La première fois, j’étais un peu nauséeux. Et puis les autres, c’est comme si mon envie de manger s’était endormie. A tel point qu’au moment du ftour je n’osais pas commencer à manger. Mais le cinquième jour, je l’avoue, je me suis empiffré.
En mangeant le ftour chez mon ami et en jeûnant, j’ai entraperçu ce que sont les agréables spécificités de ce mois, faits de plein de petits moments particuliers qui n’arrivent qu’un mois par an, et j’ai mieux compris pourquoi il était autant au cœur des préoccupations des musulmans, temps fort de l’année musulmane, fleuron de leur culture et de leur identité.
Plein de choses changent le mois de Ramadan. Les étals des attarin (vendeurs d’épices) croulent sous les dattes de toutes carnations et de toutes circonférences. Les dattes sont à la fois très digestes et très nutritives. D’après la tradition, elles sont le plus indiquées pour rompre le jeûne, une poignée, avec du lait. Une de mes cinq journées de jeûne, j’ai rompu le jeûne ainsi, en mangeant des dattes et en buvant du lait. C’était sobre, doux et très bon aussi.
Les boulangeries sont englouties sous des tsunamis de pâtisseries marocaines – chebakkias ou mkharkas – régulièrement arrosées de miel.
C’est la saison des ghraif, des arziza, des brghir et autres crêpes ou douceurs à base de blé qu’accompagneront avec bonheur du beurre ou du miel.
Des charrettes de nougats autour desquelles bourdonnent mouches et abeilles ronronnent au milieu des ruelles.
Le marketing s’y met lui aussi : habillages des émissions de 2M, affiches publicitaires… Partout, un magnifique croissant de lune brille de tous ses feux sur un ciel d’un bleu nuit sans fond. Un peu l’équivalent du sapin et des guirlandes en décembre.
Des concerts de musique sacrée sont organisés, comme celui qui s’est donné dans la cathédrale cette année à l’occasion de l’évènement « L’interreligieux aujourd’hui au Maroc », un concert de musique soufie à laquelle se prêtait merveilleusement le bâtiment qui l’accueillait.
Quelques jours avant la fin du mois se pratique la zakat, l’aumône, un autre des cinq piliers de l’Islam. Dans une rue de la médina, je suis passé devant un étal où on pouvait acheter des sachets de blé et d’orge que l’on donne ensuite à une personne dans le besoin. Elle le portera ensuite au moulin pour le faire moudre. La quantité que les sachets contiennent est conventionnelle et équivaut à la quantité de céréales récoltée quand on a plongé deux fois et demie ses paumes jointes dans un sac.
Une effervescence indéniable circule ce mois-là, et une fois qu’il est terminé, on ne peut pas s’empêcher de se dire qu’onze autres vont passer avant qu’il ne revienne.
Très bon texte , je suis de rabat et j’apprécie