Plusieurs sources m’ont été nécessaires pour repérer ces quelques bâtiments fassis et leurs architectes :
- Architectes du Maroc : Marius Boyer, Emmanuel Neiger et Pascal Plaza, juillet 2013 ;
- Le Maroc en 1932, 20 années de Protectorat français, Numéro spécial de l’Afrique du Nord illustrée ;
- Fès, la fabrication d’une ville nouvelle, 1912-1956, Charlotte Jelidi, ENS Editions.
Grâce à ces différents documents, il est possible de mettre à l’honneur plusieurs architectes ayant travaillé à Fès, ainsi que leurs bâtiments.
Il s’agit d’un choix subjectif, et dépendant des ressources citées ci-dessus et de mes photographies disponibles.
Les fiches architectes extraites du Maroc en 1932 et présentant la photographie des bâtiments construits ou en construction permettent de fixer un « terminus ante quem » pour leur datation :
- Les fiches concernant les architectes ayant travaillé à Fès :
- Les fiches concernant les entrepreneurs ayant œuvré à Fès :
Cette synthèse, sûrement pas exhaustive, permet de dégager des groupes de bâtiments fassis bien connus, de les visualiser rapidement et de les associer à un nom d’architecte.
- Joseph Claudius Christophle
Cet architecte a marqué la ville de Fès de son empreinte, à travers un certain nombre de bâtiments tout à fait remarquables.
Le premier bâtiment dont je veux parler se situe non loin de l’avenue Hassan II, dans l’actuelle rue du Liban : la façade tripartite de l’immeuble Christophle comporte deux étages. De larges loggias occupent l’essentiel de la façade, au rez-de-chaussée et aux étages. Au centre et au rez-de-chaussée, un large dégagement mène, à gauche et à droite, à deux volées de marches. A gauche, les marches mènent à un escalier. A droite, elles conduisent à deux portes correspondant à deux logements. En passant sous le porche, on découvre une arrière-cour sur laquelle donnent également quelques logements. Il est possible qu’à l’origine, une terrasse se soit logée au troisième étage, au centre de la façade, que l’on repère (sur la fiche tirée du Maroc en 1932) grâce à ce qui était peut-être une pergola ; aujourd’hui, cet espace ouvert n’est plus là et apparaît comme comblé. Les larges loggias qui scandent toute la façade lui donnent un caractère bien reconnaissable.

Dans un autre style, mêlant italianisme et néo-mauresque, l’architecte a élevé près du boulevard Mohammed V, dans l’actuelle rue Mohammed el Hayani, un autre immeuble, malheureusement aujourd’hui disparu. Son caractère italianisant lui venait de son soubassement traité en bossages. Alors que je me promenais en 2008 dans les rues de Fès, j’avais été intrigué par de curieuses arches au décor bosselé. Je m’étais demandé de quoi il pouvait s’agir et je les avais prises en photo. Il s’avère qu’il s’agissait bien des arches de ce soubassement, comme on le comprend facilement, lorsque l’on observe les clés de voûte au sommet des arches, et que l’on décompte les différents étages de chaînages de pierres (cf fiche Le Maroc en 1932). Aujourd’hui on distingue encore le départ d’une arche ainsi que les traces du décrochement de l’immeuble sur le mur de l’immeuble adjacent. Cet immeuble s’appelle indifféremment l’immeuble Bozzi-Mira ou l’immeuble Baudin-Bozzi dans Le Maroc en 1932 :

La villa Jammes rue Bringau, parfois connue sous le nom de « villa rose » parce qu’elle était autrefois peinte dans un rose soutenu, est elle aussi facilement identifiable, cette fois grâce à sa vaste véranda à colonnade néo-classique. Sa façade a bénéficié d’une rénovation récemment.
Citons encore la Brasserie Renaissance et le marché municipal.
Charlotte Jelidi évoque encore un immeuble Braunschwig situé dans la rue de Pologne, dont la façade, très structurée, présente aussi une alliance de loggias et de balcons. Au centre de la façade, deux fenêtres à balcons s’ouvrent ; de part et d’autre de ces fenêtres, deux loggias se creusent dans deux légers avant-corps en encorbellement qui se rejoignent en encadrant et surmontant les fenêtres ; le rez-de-chaussée est en léger retrait.
- Pierre Alexandre Michel Aynié
Pierre Aynié a travaillé très tôt à Fès, dès 1917.
J’ai déjà évoqué sur ce blog un autre immeuble Braunschwig situé avenue de France, dessiné conjointement par Pierre Aynié et les frères Suraqui.
La recette du Trésor s’élève sur l’avenue Hassan II (ancienne avenue de France) : les initiales entrelacées T er R qui se lisent sur la rambarde de métal en témoignent. Le bâtiment se signale par une tour, une majestueuse loggia protégée par d’élégants et traditionnels garde-corps de bois traités comme des moucharabiehs.
J’ai également découvert des éléments qui pourraient peut-être (?) permettre d’attribuer deux bâtiments à Pierre Aynié. Il s’agit des deux portes en fer forgé de deux immeubles du boulevard Mohammed V : en effet, au centre de ces portes, on distingue deux lettres entrelacées, un A et un P. Parmi les architectes ayant œuvré à Fès, ces deux lettres peuvent correspondre aux prénom et nom de Pierre Aynié. A Rabat, j’avais déjà repéré le même genre de sigle pour signer une réalisation architecturale, de la part de Jean Balois cette fois-là.
Le premier de ces immeubles, à un étage et au style discrètement art déco, s’élève au coin de l’avenue Mohammed V et de l’actuelle rue Mokthar Soussi.
Le deuxième donne sur l’avenue Mohammed V. Un décor de frises de roses stylisées orne la façade. Au rez-de-chaussée, un magasin doté d’une devanture ancienne en métal « A l’idéal » côtoie la porte marquée du seing de l’architecte. Cet immeuble est d’après les recherches de Charlotte Jelidi mitoyen avec l’immeuble Serfaty qui est dû à Joseph Christophle. A l’origine haut d’un étage, il a été surélevé de deux étages par la suite, suivant une logique dont j’ai déjà parlé :
A quoi correspondent exactement ce P et ce A ? Il faut dire que les lettres figurant sur les portes, balcons, balustrades… peuvent aussi renvoyer au commanditaire de l’immeuble.
L’hôtel Savoye, dont la façade est d’une grande sobriété, se dresse en face des immeubles de la CFAO.
- Le duo Maurice Duché et Gaston Raulin
Les réalisations de ce duo se distinguent par une grande plasticité.
Citons d’abord un immeuble près de l’Institut français, l’immeuble Raulin. Au coin de deux rues qui se croisent, l’avenue Mohamed Loukeli et la rue de Tunisie, l’arête de cet immeuble se matérialise sous la forme d’une rangée verticale de balcons semi-cylindriques qui se projettent vigoureusement dans l’espace et qui sont reliées par des colonnes engagées au profil discrètement égyptisant. Cette enfilade de balcons est encadrée par deux avant-corps. Tout en haut, au troisième étage, courent deux frises, l’une de vagues et l’autre de semi-cylindres accolés, et au-dessus une large corniche brise-soleil d’allure également égyptisante.
La fameuse villa Ensellem, qui s’élève derrière la mosquée Tunis, est de la main de ces deux architectes. De style éclectique, elle condense plusieurs styles : des éléments néo-mauresques (toits de tuiles vernissées, zelliges, découpes d’angle), néo-classiques (balcons supportés par de grandes colonnes massives), art déco (rambardes en fer forgé, décor de rosettes en stuc au-dessus du balcon d’angle, dessin du claustra)…
- Louis Beaufils
C’est l’architecte de l’hôtel de police, ainsi que du cinéma Bijou-Palace, avec son profil caractéristique et ses supports d’affiches ondulés comme des parchemins. Les entrepreneurs en sont M. Scandariato et Simone (Le Maroc en 1932).
D’autres bâtiments sont mentionnés dans la fiche de l’architecte du Maroc en 1932 : le bâtiment des Services des Renseignements, l’immeuble de la Goutte de lait, le théâtre de la médina.
- René Canu
René Canu, architecte à Meknès, a dessiné les plans de la gare principale de Fès, qui aujourd’hui a laissé sa place à une autre station flambant-neuve. Encore une fois, alors que je prenais le train entre Rabat et Fès, bien que je la trouvasse très belle, je n’ai jamais pensé à la photographier correctement : je ne conserve que quelques clichés du portique donnant sur les quais et de l’aménagement intérieur.
La banque d’Etat est aussi très intéressante : traitée comme un coffre-fort, elle est constituée d’un corps principal et de portiques ceignant l’ensemble du jardin devant lequel il se trouve. Ces portiques, surmontés d’une pergola sur toute la longueur, et de pavillons-belvédères aux angles, sont révélateurs de la dimension « climatique » de l’architecture sous le protectorat au Maroc.
- Gaston Goupil
Architecte DPLG à Meknès, Gaston Goupil est l’auteur de plusieurs bâtiments à Fès. Le premier est le lycée, actuel Lycée Ibn Hazm.
Le deuxième est un bâtiment sur lequel je suis tombé dans le quartier Aïn Khemis, à proximité de l’église. Sa façade et son porche ont retenu mon attention, notamment à cause de leur allure typiquement art déco, du dessin de l’auvent, de l’encadrement de fenêtre surmontant la porte et des faisceaux de cylindres encadrant celle-ci (cf le Pavillon Asturienne des Mines de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925 dans Architectes du Maroc : Marius Boyer, Emmanuel Neiger et Pascal Plaza, juillet 2013). Il s’agit de « l’école maternelle » de Fès. Elle est située dans la rue Omar al Idrissi. Son entrepreneur est Henri Linarès (Le Maroc en 1932).
Charlotte Jelidi signale d’autres réalisations à Fès : le groupe scolaire européen avenue Maurial (1927-1934), la prison civile (1931), la caserne de gendarmerie avec Henri Roussin.
- Emile Toulon
Près de l’école maternelle justement, se trouve l’église nouvelle d’Emile Toulon. Son chœur est traité de l’extérieur d’une manière résolument moderne qui fait penser à l’univers industriel : depuis l’arrière, on a en effet l’impression de se trouver au pied d’une énorme turbine. La façade est scandée par de fins arcs-boutants intégrés à la structure du bâtiment et surmontée d’une balustrade qui donnent à l’ensemble une verticalité importante. Charlotte Jelidi signale la forme des meneaux des fenêtres qui évoque une croix chrétienne. A droite, une volée de marches conduit à l’église par une porte majestueuse, surmontée par une fenêtre horizontale.
A sa droite se trouve une charmante villa qui lui semble liée (le presbytère ?) :
A proximité de l’église et dans la même rue que l’école maternelle se trouve la villa Delmar, au décor résolument néoclassique. Les volumes sont clairs et limpides, la villa a la taille d’un petit château. Le vocabulaire, comme les frontons et les écussons au-dessus des fenêtres de l’étage, ou l’attique qui couronne l’ensemble du bâtiment, renvoie à des idées de prestige et d’aisance matérielle.
Toujours dans le quartier Ain Khemis, on peut citer l’Institution Sainte Thérèse et son joli vitrail inséré dans la baie horizontale du corps central.
Le grand hôtel dresse ses façades imposantes près du jardin Lalla Amina et du marché municipal, tel un paquebot, avec ses hublots, voguant au-dessus des frondaisons. Au-dessus de l’entrée, signalée par un agencement sophistiqué de balcons, loggias et de bow-windows en encorbellement, s’élève sur la terrasse une excroissance rappelant la cabine de pilotage. Des balcons filants ont l’apparence de coursives. Les motifs feuilletés qui encadrent les fenêtres au sommet des bow-windows constituent un autre élément caractéristique du décor art déco.
Près de la Fiat, les immeubles Koester et Nord-Auto, avenue Hassan II (ancienne avenue de France) offrent au regard une façade sobre rythmée par des bow-windows en encorbellement.
Emile Toulon a encore imaginé la nouvelle poste, très fluide et dynamique grâce à sa façade incurvée en quart de cercle et ses piliers monumentaux.
La revue Bâtir n°7 de 1933 présente, également de sa main, une autre villa fassie :
Enfin la fiche de l’architecte (Le Maroc en 1932) présente une photographie de la villa d’Emile Toulon : elle se situe près de l’hôtel Menzeh Zalagh. On aperçoit en arrière-plan le dos des immeubles de la CFAO. La villa est aujourd’hui le siège de la Délégation Régionale du Ministère des Communications. La villa comporte un étage. Elle est constituée de deux corps accolés à l’intersection desquels, en encoignure, s’insère un porche à étage.
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Comme je m’en alarmais dans un ancien article, cet héritage architectural n’en finit pas de fondre petit à petit, à Fès comme ailleurs. En témoigne la villa – aujourd’hui une coquille vide – située rue Ahmed Hiba en face de la magnifique maison que constitue le centre de langues américain.
Espérons que ces brillantes réalisations ne deviennent pas une architecture fantôme.
