Quel chantier à Fès !

Fès, sans aucun doute la médina la plus vaste et la plus authentique du Maroc, n’est aujourd’hui qu’un vaste et authentique chantier qui lui assure une inéluctable renaissance. Je voulais être de la partie. En recherchant des chantiers de restauration en France au printemps dernier pour l’été 2007, j’ai eu vent de l’organisation de l’un d’eux au Maroc, à Fès.

De Rabat, Fès n’est pas très éloignée. Ville au plus haut point spirituelle, culturelle et artistique, Fès m’impressionnait. Je la rêvais et redoutais en même temps. Quand on s’y promène, on se croit dans un autre siècle, avais-je entendu dire. La richesse de son passé n’a pas d’équivalent. Mais je différais sa visite, et d’autant plus souvent que certains collègues de travail, pressés par mes questions, avaient souligné le dédale que formait le réseau inextricable de ses ruelles, pointaient du doigt l’exode rural qui y avait conduit une population modeste, évoquaient même un risque supposément encouru à s’y balader… bref, ils m’avaient foutu les jetons, et leurs commentaires, qui me laissaient pantois, bourdonnaient à mes oreilles comme une rumeur caressante !

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C’est pourquoi ce me sembla une brillante idée de participer à ce chantier : d’abord parce que ça faisait longtemps que je voulais avoir une expérience de chantier, ensuite parce que je voulais faire une bonne action en « apportant ma pierre » à l’édifice de la restauration du patrimoine mondial, enfin et surtout parce que ça me permettait de découvrir Fès sereinement et accompagné.

Je passerai sur les conditions d’hébergement rudimentaires des volontaires participant au chantier (l’anatomie des cafards n’a plus de secret pour moi, puisque j’en ai écrasé un avec le pied) et sur les relations plus que moyennes que les jeunes entretenaient entre eux (aujourd’hui je me rappelle pourquoi je n’ai jamais voulu partir en colonie de vacances), et avec les cafards. Ce ne sont pas les aspects les plus satisfaisants du chantier.

Pourtant ce séjour fut une expérience inoubliable, principalement parce que Fès est une ville inoubliable. Le matin, les volontaires étaient au travail. Je me suis donné à fond ! L’après midi, nous visitions, parfois accompagnés, parfois non, parfois en groupe, parfois séparément, parfois la journée, parfois en soirée, la ville.

La médina est immense, populeuse, riche en souks et en monuments historiques.

Nous avions comme point de rendez-vous un café (j’ai toujours tendance à dire un bar !) à proximité de Bab Boujloud. Nous en partions et nous y revenions.

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Dans un premier temps nous avons découvert Fès au travers de « l’espace public ». La médina est traversée par deux très longues rues : la talâa kbira (ou grande montée) et la talâa sghira (ou petite montée) : en effet cette partie de la médina est bâtie à flanc de colline. C’est une expérience unique de les parcourir : il faut parfois brusquement s’écarter pour laisser passer une charrette ; les ânes sont les seuls moyens de locomotion qui s’y aventurent ; souvent le flot des piétons ralentit et on se retrouve coincé dans un bouchon. Les échoppes roulent collées les unes aux autres, des deux côtés de la rue, jusqu’au cœur de la médina.

On débouche plus bas sur une place fameuse, enchanteresse, la place Nejjarine, centre du travail du bois, avec sa fontaine délicate en zelliges, son fondouk restauré et reconverti en musée du bois et son souk où des chaises de mariées rutilantes s’amoncellent, ou encore sur la place Seffarine, pittoresque, la place des dinandiers au milieu de laquelle on voit les artisans travailler et de laquelle s’échappe continûment une musique tintinnabulante.

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Les souks semblent sans limites : souk au henné, où j’ai acheté un savon à l’huile d’argan et du ghassoul pour me refaire une beauté, souk Chrabliyine, souk Attarine (souk des épices)… Parallèlement à ce dernier, des places se succèdent en enfilade sur lesquelles s’ouvrent d’autres commerces, une espèce de contre-allée.

Lorsqu’on arrive aux abords du mausolée de Moulay Idriss, il faut courber la tête et passer sous une poutre qui barre la rue : elle marque l’entrée de l’espace particulièrement saint qui entoure la mausolée. Dans cette zone se concentrent des boutiques vendant de l’encens, des cierges et des objets saints, un peu comme à Lourdes (j’imagine, je n’y suis jamais allé, ou alors je ne m’en souviens pas), ainsi que différentes sortes de nougat qui vont du vert amande au rose malabar en passant par le jaune canari. A cet endroit, la circulation est difficile, et les touristes marocains s’y trouvent nombreux.

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Bien sûr, je ne pouvais pénétrer dans le mausolée. Les non-musulmans ne peuvent pas non plus entrer dans la Qarawiyine. Cependant, cette mosquée faisant elle aussi actuellement l’objet d’une restauration, j’ai entraperçu, entre les battants d’une porte installée pour les travaux, le porche d’entrée de la salle de prière : privilège et ébahissement.

La zaouïa de Sidi Ahmed Tijani, je me suis aussi contenté de la voir de l’extérieur : ce saint homme a diffusé l’Islam en Afrique de l’ouest.

Seules les madrasas, autres lieux religieux, peuvent être visitées à loisir. Celle de Bou Inania, due au même mécène que celle de Meknès, a été restaurée et offre un spectacle éblouissant, un peu moins cependant que celui qu’offre la madrasa Ben Youssef à Marrakech. Elle est traversée par un oued (quand il y a de l’eau) !

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Mais dans le quartier des Andalous, celle du « bassin », la madrasa Sahrij, n’a pas été encore restaurée, pour mon bonheur, car si la madrasa Bou Inania propose tout le lustre et l’orgueil d’une madrasa qui connaît une seconde floraison, la madrasa Sahrij scintille sous la patine du temps qui passe et brille d’un éclat qui nous plonge hors du temps. Le fond du bassin est incliné, et tapissé de céramique qui lui donne une couleur très aquatique, profonde, opalescente, un peu glauque même, si cet adjectif n’était pas péjoratif, comme un œil pers ou une aigue-marine pure.

Les fondouks, comme le fondouk Sagha près du mausolée de Sidi Ahmed Tijani, ou le fondouk Tsétaounine, dominent avec morgue les visiteurs de leurs arcades solides. On y trouve aujourd’hui souvent des ateliers. Impressionnantes sont les énormes balances (de bronze ?) qui sont suspendues parfois dans la cour. Les fondouks, à Fès comme à Rabat ou Marrakech, sont vraiment des témoignages hors de prix et irremplaçables du passé des médinas.

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Il me reste à évoquer les espaces privés : ce sont d’abord des palais que j’ai visités, comme le musée Batha, qui abrite un jardin des plus intéressants mais un peu en voie d’essoufflement, et surtout le Riad Moqri, aujourd’hui reconverti en centre de formation pour les artisans destinés à restaurer des monuments, dont les cours et les jardins enclos dévalent en terrasses une pente, et où se trouve, dans une certaine salle, une certaine fenêtre ornée d’une jolie grille, d’où la vue sur Fès est époustouflante. Un grand moment.

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Mais si j’ai pu aussi bien connaître Fès, c’est grâce à ce projet de chantier que j’ai concrétisé : en effet, avec les autres volontaires, nous avons eu la chance de pénétrer dans des maisons traditionnelles en restauration, donc de voir Fès de l’intérieur, de voir Fès à l’intérieur de ses murs, dans ses murs si j’ose dire. La restauration est pilotée par l’ADER-Fès, Agence de Dédensification et de Réhabilitation de Fès. Elle organise ces chantiers qui ont pour but la sauvegarde du patrimoine et qui aident des particuliers à restaurer de précieuses maisons traditionnelles qui sont menacées de disparaître. La maison où je travaillais était destinée à devenir une maison d’hôtes. Déblayage, enduit, maçonnerie, les tâches étaient plurielles, les mâalems (maîtres artisans), amicaux et attentifs. La restauration se fait avec les techniques et les matériaux traditionnels. Je dois dire que j’ai trouvé – on m’a posé cette question par la suite – que cette restauration était faite avec beaucoup de soin, et j’ai vu de splendides murs de briques s’élever en l’espace d’une semaine pour remplacer de piètres murs branlants.

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J’en veux un peu aux collègues de travail qui m’ont peint une fausse image de Fès. Il n’y avait aucune appréhension à avoir. Je me suis perdu plus d’une fois dans des ruelles : les gens vous indiquent la direction, parfois même spontanément ! On prend quelques repères assez vite et on retombe vite sur les grands axes. De plus, certains parcours fléchés ont été aménagés pour les touristes : des pancartes montrent le chemin à suivre ! Que cela me serve de leçon : je suis trop influençable. Je suis heureux de ces deux semaines, très riches à plusieurs points de vue, en découvertes, en connaissances, en apprentissages, et humainement, puisque les Fassis se sont montrés très accueillants et que j’ai rencontré des Marocains très sympathiques (comme toujours).