Pour relier Ouled Driss à Zagora en seulement cinq jours, il faut franchir le djebel Bani. C’est la route « rapide » qu’empruntent les chameliers qui n’ont pas de temps à perdre. J’aurais peut-être dû prolonger mon excursion de deux jours pour le contourner.
En effet, il me sembla que l’humeur de mon guide, la veille de franchir cet obstacle, changeait sensiblement, et que la pugnacité de son regard s’infléchissait pour se voiler de doutes et d’une certaine tristesse. Je n’étais pas sûr : je ne lui ai pas touché mot de mes impressions.
Puis nous avons pénétré dans le djebel Bani. D’abord une petite montée, puis nous nous retrouvons au milieu d’un vaste cirque où poussent de ci de là des lauriers roses. Nous rencontrons aussi un jardin verdoyant alimenté par un puits et soigné par un homme qui sommeille allongé dans l’herbe.
Mbarek prend mon chèche et le mouille avec l’eau du puits. Reposé sur ma tête, il m’inonde de fraîcheur.
Une fois cette vaste arène parcourue, nous arrivons au pied d’une piste qui s’envole dans la montagne. Mon guide me propose, comme à notre habitude, de nous arrêter pour déjeuner à l’ombre d’un arbre. Mais il me dit que l’on peut aussi continuer la route et nous arrêter plus tard. Je sens que c’est cette dernière solution qu’il préfère de loin. Et en plus l’arbre et son ombre ne me font pas très envie.
Nous grimpons donc sur le chemin. La vue sur le cirque est fantastique. Rien ne pousse là-haut, la montagne est chauve, le sentier est comme une blessure dans le sol déchiqueté.
Enfin, je vois mon guide qui m’a distancé toucher le ciel.
Je le rejoins : une vue à couper le souffle s’offre à nous, sur Zagora et surtout sur la vallée du Draa, une coulée verte et touffue. Mbarek nous sort une orange dont le jus sucré me pique la gorge. Je profite d’un spectacle époustouflant.
Il faut redescendre. Nous sommes encore loin du but. Mon guide est plus concentré que jamais : je commence à comprendre son attitude de la veille. Le sentier qui court le long du flanc de la montagne est étroit. Au bord, la paroi file vite rejoindre le sol. Puis ce sont des lacets en épingles à cheveux, le chemin est encombré de gros cailloux qui sont autant d’obstacles et de dangers pour la marche des chameaux qui n’ont pas l’habitude de ce genre d’exercices. Je suis avec nervosité l’avancée de Mbarek et des deux chameaux Qaharian et Saharian.
Au pied du djebel, il prend un peu d’avance puis m’attend près d’un acacia dont les chameaux se nourrissent des branches. En discutant avec mon guide, je comprends que cette traversée a été une véritable épreuve, qu’il avait hâte de voir les chameaux de l’autre côté et m’avoue, sous la pression d’une volée de questions, qu’à cet endroit plusieurs chameaux ont déjà chuté dans le vide. Je prends la mesure de l’aventure et du stress de mon guide.
Si j’avais su de quel risque il pouvait s’agir pour les animaux, j’aurais sans doute choisi un itinéraire plus serein. Mais il faut avouer que le goût de cette orange au sommet de ce djebel devant le spectacle de cette vue fut un événement spécial.