Une fois n’est pas coutume : l’espace d’un article je me métamorphose en éditeur, et ce afin d’e-publier… ma propre nouvelle.
Un mot sur sa genèse (oui, je sais, c’est un peu pompeux comme formulation) : Elisabeth, ma collègue documentaliste dans le collège où je travaillais au Havre, avait organisé un concours de nouvelles, et avait demandé aux professeurs d’y participer. Pour lui être agréable, j’en écrivis une, qui concourut dans la catégorie « adultes », et qui n’eut qu’une seule concurrente, Elisabeth et sa propre nouvelle… Mais peu importe. Des élèves a priori peu enclins à l’écriture ont produit des textes tout à fait séduisants que leurs pairs ont départagés.
D’où ces photographies du Havre et de sa région (la plage du Havre et le front de mer, le bassin du commerce de la même ville, avec le volcan de Niemeyer, les falaises d’Etretat, un chemin sur les hauteurs d’Yport) qui dénotent un peu parmi celles que j’ai fait figurer jusqu’ici sur le blog, moins humides.
Et puis vous verrez après la nouvelle la photo d’un volatile, derrière les barreaux, prise au coin d’une rue de la médina.
Nouvelle en deux lettres
Etretat, le 08 juillet
Ma chère Andrée,
Cela fait une semaine que nous avons quitté Grenoble pour la Normandie, et j’ai l’impression que cela fait déjà un mois. Que cette région est belle ! Que la mer est bleue, tout comme l’horizon et le ciel ! Que les falaises sont hautes et blanches ! Que l’herbe est verte et les genêts sont jaunes ! Notre séjour a débuté d’une façon idéale. Le voyage a été un peu long, mais c’est avec un plaisir immense que nous avons pris possession de notre appartement de location. Il est petit, mais plein de charme, avec un petit balcon de bois peint en blanc, duquel, s’il on fait un petit effort pour se pencher, on peut apercevoir la surface pétillante de l’eau qui chante sous le jour. Dès le lendemain de notre arrivée, nous avons enfilé nos chaussures de marche, ceint nos casquettes, endossé nos sacs et, guide de randonnée en main, nous avons commencé notre programme de balades, le long des falaises ou bien dans le pays de Caux, en poussant même jusqu’à la vallée de la Seine. Décidément, nous avons du mal à nous passer de l’eau ! Les sentiers offrent des vues splendides sur des paysages délicieux, qui n’ont rien à voir avec nos montagnes chéries, et même si les falaises d’Etretat doivent encore avaler quelques bols de soupe avant de pouvoir rivaliser en hauteur avec notre Mont Blanc national, elles sont vraiment impressionnantes. En même temps, j’ai envie de dire qu’elles semblent fragiles, et leur surface de lait est pleine de tendresse. Enfin, Andrée, j’aimerais tant que vous soyez là avec nous pour admirer l’Aiguille, la Manneporte et tout le reste…
J’espère que vous ne vous ennuyez pas trop à Grenoble. Vous êtes si gentille d’avoir accepté de vous occuper de la maison en notre absence. Je voudrais encore vous en remercier. Vous êtes une perle. Vous êtes une philanthrope. Avec des chaleurs telles qu’il s’en produit en ce moment, les plantes n’auraient jamais survécu sans soins à notre absence. Et Dieu sait si j’y tiens à mes plantes ! Sachez que chaque minute qui s’est écoulée jusqu’ici, j’ai mis toute mon énergie à leur créer un confortable environnement de croissance et d’épanouissement. Il ne s’est pas passé un jour sans que je leur « aie tapé la causette » et je suis persuadée, quoique vous en pensiez, que cela leur est vraiment bénéfique. N’oubliez pas, s’il vous plait, de les arroser régulièrement, et de temps en temps de mettre au fond de leur pot un peu d’engrais chimique. D’ailleurs je crois que j’ai oublié de vous dire où il se trouvait : cherchez sur l’étagère à gauche, lorsqu’on entre dans la serre. Il est juste à côté du sachet de graines pour Granule.
Au fait, comment va Granule ? Comment va mon cher petit canari des îles (il ne vient pas vraiment des îles, plutôt de l’animalerie, mais j’aime bien l’appeler de ce petit nom) ? Chante-t-il toujours aussi bien et clair ? Quel bonheur c’est pour moi d’écouter son chant cristallin lorsque dans la serre je dépote, rempote, repique, coupe, transplante, greffe, arrose, etc. Et de voir frétiller ses petites plumes jaunes sous la verrière quand j’ouvre la petite porte de sa cage et que je le laisse s’envoler librement autour de moi. Je me souviens avec précision de la fois où il s’est échappé, où je l’ai cherché partout durant une semaine entière, dans la serre, puis dans la maison, et dans le jardin, dans la rue… Quel cauchemar ! Quelles affreuses nuits n’ai-je pas passées inondée de sueurs froides et prise de frissons brûlants ! C’est Raoul, le petit voisin, qui me l’a ramené avec un grand sourire, mais non pas aussi grand que le mien quand j’ai vu mon petit Granule trembler au creux de ses paumes. Je vous recommande Monsieur Granule : il est généreux, plein de répartie, c’est une bête précieuse. Vous saurez apprécier sa compagnie.
Demain nous prendrons la voiture et nous irons au Havre : je me suis laissé dire que c’est une ville qui, même si elle n’a pas très bonne réputation, gagne vraiment à être connue. Vous savez peut-être que tout le centre ville a été reconstruit après la deuxième guerre mondiale, et qu’il vient juste d’être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Je pense que c’est à voir…
Bon, je vous ai assez fait perdre votre temps. Vous avez sans doute mille choses à faire. Encore une fois merci pour votre disponibilité et Patrick et moi, nous vous souhaitons encore de bonnes vacances et vous embrassons chaudement.
Josy
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Grenoble, le 08 juillet
Ma petite Josy,
Cela ne fait qu’une semaine que vous êtes partis en Normandie, et vous me manquez déjà. Il faut dire que pendant les grandes vacances le quartier est vite dépeuplé. Tous les voisins l’ont déserté ! Il ne reste plus personne ! J’ai donc beaucoup de temps pour moi en ce moment : c’est pourquoi je prends ma plus belle plume et je chausse mes verres les plus épais (ma vue a beaucoup baissé ces derniers temps !) pour vous adresser un petit mot. Je pense tous les jours à vous et je vous imagine au bord de la plage, à l’ombre des célèbres falaises d’Etretat, à prendre des bains de mer entre deux marches à pied… Je vous envie un peu.
Moi aussi je voyage en Normandie, mais c’est en relisant tous les tomes de ma collection d’« Arsène Lupin », ce que je n’avais pas fait depuis l’époque où j’ai découvert ses aventures pour la première fois, à l’âge de quinze ans, c’est-à-dire il y a une éternité. Seul Maurice Leblanc est capable de captiver à ce point son lecteur et de savoir faire rebondir l’intrigue au détour de chaque page !
Hier, j’ai reçu un coup de téléphone de mon fils Jean-Claude, vous savez, celui qui travaille dans une organisation humanitaire en Angola. Cela faisait si longtemps que je n’avais eu de ses nouvelles. J’étais heureuse à un point que vous ne pouvez imaginer. Il avait l’air de bien aller, d’être en forme. Quand je pense qu’il y a peu, je l’emmenais à l’école et aujourd’hui il vit à des milliers de kilomètres d’ici. Un jour peut-être je prendrai mon courage à deux mains, je prendrai l’avion et j’irai le voir en Angola. Enfin… Pour le moment, ça me semble une sacrée expédition…
Ici, il fait une chaleur écrasante. On étouffe ! Les fleurs ont un peu de mal, mais vous pouvez être sûre que j’en prends le plus grand soin. Aucun pot n’échappe à mon vaporisateur d’eau : je suis la « Calamity Jane » de la botanique ! Tous les jours, consciencieusement, je verse à leur pied un peu d’eau. Elles boivent à suffisance : j’y veille. Quand vous reviendrez, vous les retrouverez comme vous les avez quittées, les pétales tout roses et les feuilles gorgées de chlorophylle.
Le petit Granule souffre lui aussi de la chaleur : il me semble qu’il a le plumage un peu terne. Cela fait trois jours qu’il a arrêté de chanter. C’est dommage : j’aime tant quand il emplit la serre de ses « pious-pious » cristallins ! Et puis ce matin même, alors que je suis en train de vous écrire et qu’il est déjà dix heures, il n’est pas encore levé ! Le pauvre… La chaleur est vraiment écrasante. Ce n’est pas faute de lui donner à boire. Hier, j’ai même sorti la cage à l’ombre du cerisier pour tenter de le rafraîchir, de le « remettre sur pattes ». Enfin, la télévision a annoncé des orages pour les jours prochains : cela nous fera du bien. Et puis rassurez-vous car dimanche à la messe j’ai adressé une petite prière pour l’aider à supporter la chaleur : il est entre de bonnes mains.
Voilà, j’ai assez abusé de votre temps, me semble-t-il. Je crois que vous avez mieux à faire sur les galets que de lire mes élucubrations. J’ai hâte que vous rentriez. Profitez bien du paysage au fil de vos randonnées. Autour d’un petit café et d’une part de clafoutis, je serai heureuse de vous écouter me raconter votre séjour à Etretat et de regarder toutes les belles photos que vous n’aurez pas manqué d’avoir prises dans cette magnifique région.
Toutes mes amitiés, à vous et à Patrick bien sûr,
Votre Andrée qui vous est complètement dévouée.
P.-S. : Pour ce qui est des repas de Granule, j’ai eu une très bonne idée : comme j’ai trouvé deux sachets de graines l’un à côté de l’autre, à l’endroit que vous m’aviez indiqué, sur l’étagère à gauche quand on entre dans la serre, je me suis dit qu’il apprécierait un peu de variété, et je lui ai concocté un cocktail de star. Le mélange a semblé bien lui plaire, du moins au début, car pour le moment, comme je vous l’ai dit, à cause de la chaleur, ça ne semble pas être la grande forme.
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