La période du Protectorat (1912 – 1956) a laissé une empreinte profonde d’un point de vue architectural sur de nombreuses villes du Maroc, sur Casablanca bien sûr, que les autorités françaises dès cette époque se sont efforcées de développer pour en faire la grande mégalopole économique que l’on connaît maintenant, mais aussi sur d’autres et notamment sur Rabat.
Un travail de recherche sur l’architecture coloniale à Rabat semble aujourd’hui avoir toute sa légitimité, alors que la pression immobilière fait peser une menace sur elle, et que le regard qu’on lui porte, au Maroc comme à l’étranger, change rapidement. J’en veux pour preuve, par exemple, l’énergie déployée à Casablanca par l’association « Casamémoire », créée en 1995 et représentée par d’éminents architectes, qui réfléchit actuellement par exemple à réhabiliter le boulevard Mohammed V, véritable colonne vertébrale de la ville moderne.
Contribuer à mieux faire reconnaître et apprécier ce patrimoine moderne, par les Marocains qui en jouissent comme par les touristes qui sont venus, viennent ou viendront l’admirer, et à le mettre en valeur, c’est aussi participer à sa préservation.
Pour toute personne souhaitant travailler dans ce sens, la mise à disposition d’un inventaire du patrimoine rbati de cette époque serait sans nulle doute un précieux outil (un recensement a – semble-t-il – déjà été effectué par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme), de même qu’il serait intéressant d’établir une typologie afin de classer ces bâtiments qui diffèrent beaucoup par leur style, leur destination, leur époque de construction et leurs références à l’architecture du temps…, et d’éclairer amateurs ou néophytes avides de découvertes.
J’ajoute que contrairement à celle de Casablanca, l’architecture coloniale de Rabat n’a fait que très peu l’objet d’études.
Laissez-moi donc, dans les prochains articles, tenter d’esquisser l’ébauche d’un panorama de ces richesses qui subsistent dans la capitale marocaine quartier par quartier, ordonner ces ensembles à partir de quelques jalons qui permettront d’en mesurer les différentes spécificités, et brosser un rapide tableau des diverses ressources documentaires disponibles au Maroc pour réaliser un travail de ce type.
Quartier par quartier, il est possible de mettre en exergue un certain nombre de bâtiments phares ou édifices caractéristiques, qui ne sont que « la partie émergée de l’iceberg », et qui pourront constituer une espèce de cartographie de la ville du point de vue qui nous intéresse.
Je partirai du quartier le plus ancien, la médina traditionnelle, pour rayonner vers les quartiers périphériques, après avoir traité bien sûr le cœur de la ville coloniale, le centre ville moderne construit le long de l’avenue Mohammed V sous la résidence du général Lyautey. A ce propos, on peut signaler que la ville moderne a été construite d’après un principe de « zoning ».
Dans la médina tout d’abord, centre historique et traditionnel constitué de ruelles étroites et sinueuses, aux maisons aux toits en terrasses, l’architecture coloniale n’est pas absente : on la trouve le long de deux axes principaux, la rue El Gsa (ou rue Mohammed V car elle prolonge dans la médina l’avenue du même nom) et le boulevard Laalou. Il s’agit, dans la rue El Gsa, de maisons de style traditionnel mais dont les façades bénéficient de plusieurs ouvertures sur la rue. Sur le boulevard Laalou, par exemple, s’élève encore un ancien hôtel : « le Maroc-Hôtel », des bâtiments administratifs : « les bureaux de la Subdivision », le « Cercle des Renseignements ».

La ville moderne s’est bâtie contre la médina (qui a fait à cette époque l’objet de mesures de protection de la part des autorités françaises), de telle sorte que la ville offrait dès lors un visage duel. L’avenue Mohammed V en est la principale artère. Elle est bordée de bâtiments administratifs, du Parlement, de la gare, la Banque du Maroc, la Poste, l’hôtel Balima et se rétrécit à proximité de la médina. On trouve alors à ses abords l’ancienne cour d’appel, le théâtre « La Renaissance », et de nombreux immeubles aux façades art déco. Sur le boulevard Hassan II, à proximité de Bab al Had, s’élève une série d’immeubles de grande qualité. Dans le centre ville, on peut admirer la cathédrale Saint Pierre, place du Golan, et l’ancien évêché où loge à présent l’Institut français. Le quartier compte encore le parc du Triangle de vue aménagé sous le protectorat, ainsi que de nombreux hôtels et immeubles de rapport.


Le quartier Hassan doit son nom à la tour Hassan, minaret vestige d’une mosquée jamais achevée de l’époque almohade (XIIème siècle). De l’époque coloniale il y subsiste entre autres le palace « La Tour Hassan », « La Source », ancien monastère des Petites Sœurs de l’Assomption, le lycée Gouraud, tous trois situés avenue du Chellah. Tout au bout du boulevard Hassan II on remarquera aussi le bureau des Douanes (maison à étages anciennement dite « Duhoux et Cassaro ») et à proximité, derrière le Golden Tulip Farah Hotel, compris dans un triangle formé par les rues Abdel Moumen, Ar-Rich (ou Mehdia) et l’avenue al Alaouiyine, les chalets préfabriqués en bois (aux toitures recouvertes de tuiles Guichard et Carvin) destinés aux militaires de l’Armée de l’air.


Le quartier des Ministères abrite les Services administratifs centraux du Protectorat. On y trouve la Nouvelle Résidence que le général Lyautey s’est fait construire (une précédente Résidence avait été édifiée au niveau de l’actuel Théâtre Mohammed V), la poste attenante (appelée parfois poste du Chellah), l’Etat Major, l’ancien « Office économique », l’ancien « Office des Phosphates ». Le Palais Royal date quant à lui aussi du XXème siècle.

Le quartier Océan doit son nom à sa proximité avec la mer. Plusieurs bâtiments y sont tout à fait remarquables : l’hôpital Marie Feuillet, l’église Saint Joseph, transformée actuellement en une salle pour diverses manifestations (salle Mehdi Ben Barka), d’anciens logements militaires du camp Garnier, le garage Renault « Godefin » avenue Misr…

Les quartiers Diour Jamaa et des Orangers recèlent une curiosité : en 1917 les autorités françaises y ont fait construire tout un quartier qu’on pourrait qualifier de néo-médina, sur le modèle des médinas traditionnelles. Il compte, outre des logements, une mosquée, une madrasa, un hammam…

Le quartier Qbibat a été occupé par des Espagnols. On y rencontre villas et maisons au toit pentu et recouvertes de tuiles rouges.
Le quartier Agdal était à l’époque du protectorat un quartier résidentiel verdoyant avec de nombreuses villas et de nombreux jardins. Ils ont été remplacés par des immeubles de rapport, mais certaines villas subsistent, éparpillées. Le jardin d’Essais, scindé en deux par l’avenue An Nasr, fait l’objet en ce moment d’une campagne de réhabilitation.

Dans le quartier Akkari, on trouve l’hôpital Moulay Youssef, datant de 1918, le long de l’avenue Sidi Mohamed Ben Abdellah, le cimetière européen, des maisons de style traditionnel construites pour les cadres de l’OCP (l’Office Chérifien des Phosphates).

A l’entrée du quartier Yacoub El Mansour a été édifiée en 1950 la cité Ecochard, dans le style néo-traditionnel, avec des logements, une mosquée, un hammam, un four commun, une kissaria (galerie marchande). L’ensemble est aussi intéressant par le matériau employé : le béton.

Cette dernière peut éventuellement être considérée comme l’ensemble le plus marquant pour la fin de la période qui nous occupe. Bien sûr cette liste n’est censée que donner un avant-goût du patrimoine de cette époque qui est omniprésent dans le tissu urbain de Rabat.
Je conclus en précisant que si une personne voit un inconvénient à la publication des photos de ces bâtiments sur ce blog, elle peut m’écrire…
Architecte, né à Rabat en 1953
ce qu’il faut comprendre des réalisations urbaines et bâties du protectorat, notamment à Rabat ville européenne ( anciens jardins maraichers dans les remparts almohades), c’est que, après le plan général d’urbanisation de PROST sur les directives de LYAUTEY, tout a été conçu et dessiné ex nihilo, avec un objectif d’adaptations au contexte ( climat, ressources, pour les bâtiments « style arabo-andalou » ), y compris le dessin total de l’espace urbain ( c’est très rare ) : mise en scène des bâtiments publics, voirie droite et courbe, places, largeur des trottoirs, plantations et alignements, parcs et points de vue …
et c’est bien l’ensemble de l’espace bâti qui a donné un caractère remarquable et reconnu comme expérience unique, parce que, aussi, tout a été créé en peu de temps.
Depuis, un peu partout dans le monde, on a donné toute la priorité à la circulation selon le modèle américain de la trame carrée, et aujourd’hui on pastiche et accole beaucoup l’ancien (modèle urbain) et l’hyper rationnel, à la recherche d’une âme…
Merci beaucoup, bonne article!
Bonjour,
Je suis architecte et cette année je fais un Master en Urbanisme.
Ca m’interesse vraiment cet article pour analyser chaque quartier de la ville de Rabat, alors j’aimerais avoir plus d’informations,si c’est possible, concernant cette étude.
Merci beaucoup.
merci pour l’article
J’ai demandé à Maître travaillé sur le thème de l’architecture coloniale à Rabat, mais j’ais trouvé des difficultés à atteindre les références nécessaires à l’artcle Recherche